P17 par L’ENSA Nantes : Les gestes quotidiens comme expertise

Nous sommes ici pour la 17e rencontre du réseau transdisciplinaire Polygonale, pour le séminaire annuel pédagogique de recherche inter-écoles d’architecture consacré au commun et à la mutation des pratiques architecturales, cette année plus particulièrement contré sur l’expérience du terrain, en pratique, en pédagogie et en recherche. Pour cela, nous allons à la rencontre de La Preuve par 7 (PP7), dont le travail de permanence architecturale propose une attention particulière au terrain.

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Des fictions épistémologique et l’émergence de possibles nouveaux experts

Solène Michaud – MHP 2022-2023

Des fictions épistémologique et l’émergence de « possibles nouveaux experts »
Interroger notre perception des petites villes Solène Michaud

Le studio de projet de master Muter Habiter Penser de l’ENSA Nantes proposait un cadre singulier où chacun de nous, étudiants, a pu amorcer une réflexion profonde sur le rôle de l’architecte et sa pratique dans une société et un monde en pleine mutation.

En particulier, c’est l’héritage commun de la Modernité, les modèles et les valeurs qui lui sont liés que j’ai tenté de questionner durant un semestre de projet. La Modernité en architecture incarne ici la recherche de progrès technique et technologique en vue de l’élévation du confort individuel et collectif. Un processus qui a largement influencé nos manières d’être au monde, de construire et de détruire des architectures et des paysages. Prendre un recul sur ce legs m’a semblé nécessaire, face à la nécessité d’adapter nos pratiques aux enjeux contemporains (crise climatique, crises des ressources et des énergies, crises sociales et politiques) mais également du point de vue des impacts qu’ont pu avoir ces paradigmes sur la perception des territoires les moins portés par la Modernité.

J’ai fait le choix de porter cette réflexion vers les petites villes, où ces problématiques me semblaient résonner d’autant plus. Bien que l’identité et le devenir de ces territoires ont déjà fait l’objet d’une prise de conscience et d’actions concrètes menées par des politiques d’ampleurs nationales (en témoigne les dispositifs Action Coeur de ville ou Petites villes de Demain), il me semblait nécessaire d’approfondir la recherche sur le sujet. En effet, ces territoires péri-urbains et péri- métropolitains demeurent, en comparaison avec les métropoles ou les villes moyennes, trop peu l’objet d’études urbaines.

À travers un projet de relecture du déjà-là, il s’agissait de dresser un portrait sensible et singulier d’un territoire, un Éloge du banal. Un

portrait fait de multiples points de vue, sur des éléments ordinaires de la ville, comme les pratiques sociales des habitants ou leurs émotions. Cette relecture s’appuie sur un travail de méthodologie alternative et ludique, les fictions épistémologiques, qui visaient à faire évoluer positivement le regard porté sur ces territoires.

La fiction comme outil

Ce Projet Positionnement de Fin d’Études a traversé deux phases, une première théorique, avec la construction d’une pensée cristallisant les questionnements précédemment évoqués, le devenir des petites villes, leurs identités, le changement de regard et le renouvellement des pratiques architecturales, et une seconde plutôt pratique, une mise en projet faite d’expérimentations, d’enquêtes et de restitutions. La fiction est un outil précieux et qui s’adapte à ces différentes étapes du projet. Lors de la première phase, elle ouvre les perspectives de projets avec l’imagination d’un cadre théorique émancipé des paradigmes de la Modernité, très propice à l’émergence d’hypothèses d’alternatives et de nouvelles problématiques de projet. Durant la seconde, utiliser la fiction permet de développer un protocole de prospection quasi infini.

Ce travail d’enquête du déjà-là d’une petite ville s’appuie en grande partie sur la construction d’une nouvelle grille de lecture. Chaque axe, colonne de cette grille explore des dimensions particulières de la ville à partir de méthodes et d’outils empruntés à d’autres champs de recherche que celui de l’architecture. En supposant que chaque domaine de recherche porte un regard spécifique sur le monde et ce qui le compose, solliciter d’autres domaines dans l’enquête permet de démultiplier les prismes, les angles de vue, et, par accumulation, de générer non pas un unique portrait de la petite ville, mais une multitude.

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Des néologismes aux néo-experts

Pour illustrer cela, imaginons que nous souhaitons étudier le paysage urbain d’une petite ville. En allant solliciter le domaine de l’esthétique par exemple, l’architecte peut se saisir de tout un bagage théorique existant, d’une diversité d’outils et de méthodologies, qu’il peut tenter d’apprivoiser et d’appliquer à sa propre lecture des constituants d’un paysage. J’ai tenté d’aller plus loin dans cette recherche de pluridisciplinarité dans l’analyse en faisant basculer l’enquête dans des fictions épistémologiques. Dès lors, le protocole pouvait inclure tout, absolument n’importe quel caractère de la petite ville. Le moindre de ses composants, tangibles ou intangibles, étaient en mesure de devenir une discipline de recherche à part entière.

De nouvelles sciences s’improvisaient, chacune avec ses propres thèmes et mécaniques et pour lesquelles convenait d’imaginer le cadre conceptuel, de formuler des hypothèses de recherches puis, dans l’enquête, d’imaginer les moyens d’y répondre sous la forme d’outils et de modes de rendus. À partir de néologismes, la fiction engendre un monde de nouveaux experts, dont les spécialités n’ont de limites que notre imagination. Nous souhaitons nous intéresser aux communs ? la Communologie (discipline ayant pour étude les modalités du vivre ensemble) vient à notre secours. Au bien-être des habitants ? L’ Eudémonologie (science qui étudie les mécanismes du bonheur), se présente. L’envie d’étudier les lieux de rendez- vous, amicaux ou galants ? La Pique- niquologie et la Rencarologie peuvent nous aider à y voir plus clair.

Si certaines combinaisons de mots prêt à sourire, je découvrais grâce à ces fictions un moyen ludique et infini de renouveler l’enquête tout en questionnant le jugement de valeurs que l’on peut avoir sur ce qui compose le déjà-là d’une petite ville. Ce qui me semblait fort dans cette proposition, c’est qu’elle n’admettait aucune hiérarchie entre les différentes dimensions du réel. Un banc avait tout autant de valeur dans cette grille qu’une ruine médiévale ou qu’un rire d’enfant. Un processus et protocole de projet sensible que j’imagine pouvoir être réemployé dans d’autres projets, d’autres contextes que la petite ville.