P17 par L’ENSA Nantes : Les gestes quotidiens comme expertise

Nous sommes ici pour la 17e rencontre du réseau transdisciplinaire Polygonale, pour le séminaire annuel pédagogique de recherche inter-écoles d’architecture consacré au commun et à la mutation des pratiques architecturales, cette année plus particulièrement contré sur l’expérience du terrain, en pratique, en pédagogie et en recherche. Pour cela, nous allons à la rencontre de La Preuve par 7 (PP7), dont le travail de permanence architecturale propose une attention particulière au terrain.

Polygonale, en se réunissant sur le lieu de la permanence architecturale, souhaite partager l’expérience qui se fait ici, à Lunel sur le site de l’Ancienne Gare, tout en la questionnant à travers des ateliers collectifs engagés par chacune des écoles partenaires, car c’est aussi – ici et encore – le moment d’une nouvelle construction collective.

Comme nous souhaitons, nous aussi « participants », nous mettre au travail ; pour l’atelier proposé par l’ENSA Nantes, nous aimerions utiliser ce moment privilégié de rencontre entre les membres de Polygonale et de La Preuve par 7, pour faire une courte expérience de conception en ambassade.

Nous vous proposons de réfléchir ensemble à une question qui émerge à la fois de nos différents projets de fin d’étude et recherches associées, et de ce qui semble se jouer ici à Lunel: comment penser les outils de conception pour parler, faire ensemble et réimaginer le monde en commun ?

Ce questionnement, nous pouvons l’étudier ensemble en mettant en place 5 discussions. Chacune sera guidée par le prisme d’un l’un.e d’entre nous, en fonction de notre travail de recherche.
Nous vous proposons des mots clés, notions et courtes phrases pour déclencher cette conversation autour de la question principale. A vous de vous emparer d’une, deux ou trois notions et de la commenter au groupe à travers votre propre expérience.

La conversation permettra d’établir notre territoire d’échange, qui pourra être représentée par exemple à travers un diagramme « compass » ou autre. Ce multilogue sera retranscrit au grand groupe et constituera notre part de réflexion à la grande réflexion, notre petit commun au grand commun.

Ce protocole de discussion est à la fois une manière d’échanger en grand groupe nos différents positionnements autour de cette question du terrain, du commun et du projet ; et d’expérimenter même une conception en ambassade, puisque celle-ci tient à l’initiation d’une réflexion commune.

Penser avec et par les habitants.
Les gestes quotidiens comme expertise, la force du collectif pour habiter des écosystèmes fragiles. Lucie Bortoli et Violette Robin

Le travail de recherche que nous avons mené pour notre projet de fin d’étude nous a permis d’approcher, sans le nommer ainsi initialement, une conception en ambassade.

Présentation du contexte de la recherche. Ce qui fait projet, temps zéro.

C’est un projet collectif sous toutes ses formes. Nous travaillons en binôme avec Violette Robin et en groupe avec un collectif d’habitant·e·s. C’est un projet de réhabilitation d’un hameau en pierre, mais surtout de préfiguration pour un projet sur le temps long.

Il faut savoir que nous nous inscrivons dans un processus en marche. Le collectif d’habitant·e·s avec lequel nous réalisons ce projet d’architecture depuis le mois de septembre, porte le projet de vivre ensemble dans toute sa complexité depuis une dizaine d’années. L’achat du hameau de Cavalon et son moulin il y a 6 mois, le site où ils habitent aujourd’hui et sur lequel nous travaillons, est un aboutissement et un tournant dans leur réflexion sur l’habiter.

Nous portons une attention particulière au déjà-là humain et territorial.

  • –  Le collectif d’habitant·e·s, dans sa gouvernance et son mode de vie, est riche de potentialités.
  • –  Le territoire rural sur lequel ils s’installent, à Cavalon, commune de la Gacilly, Bretagne, à équidistance entre Nantes, Rennes et Vannes, dans un hameau composé de six bâtiments en ruine (1500m2 surface habitable) et une minoterie hydraulique à l’arrêt (800m2 surf. hab.), déploie des caractéristiques toutes particulières. La rencontre et les échanges que nous avons avec ces 15 personnes nous inspire. Ils vivent en collectif intergénérationnel et expérimentent un mode d’habiter en groupe au-delà du noyau familial standard. Ils mutualisent leurs ressources et partagent leur patrimoine en remettant en question la propriété privée, ils souhaitent mettre à disposition ce patrimoine pour en faire un commun. Ils mettent à l’épreuve des savoir-faire spécifiques pour l’auto-réhabilitation du hameau, qu’ils soient artisans de profession ou non. Ils vivent en habitat léger, cela leur permet d’utiliser le temps long comme une richesse, en s’installant sur le site sans subir la pression d’un chantier de réhabilitation rapide. Vivre en habitat léger leur apporte également une sensibilité forte à l’ancrage au site, au territoire, une proximité au vivant. C’est un mode de vie qu’ils souhaitent conserver même en s’installant en « lourd ». Leur mode de vie et le projet sont également guidés par leurs moyens – ils ne disposent pas d’un grand capital économique. Ils déploient des tactiques de résistance qui détournent les codes pour trouver des espaces qui correspondent à leurs moyens, et besoins. La rencontre avec le lieu de l’habiter collectif, le hameau existant, est également une source d’inspiration essentielle. La rivière qui traverse le hameau rend 4 de ces 6 bâtiments susceptibles à des inondations chaque année. Les inondations hivernales témoignent généralement de 15 centimètres d’eau dans les bâtiments les plus exposés. C’est la contrainte première du site, qui guidera le projet. D’autre part, les bâtiments sont tous dans des états de ruine plus ou moins avancé. Ils nécessitent un soin important. La situation du hameau dans une zone en marge et dans un écosystème fragile est également un aspect important. Construire un lieu de vie avec des communs sur un espace isolé fait partie des valeurs politiques du collectif, et participe à la protection du territoire. La minoterie, en tant que patrimoine industriel qui a réuni et dynamisé le territoire jusque dans les années 90 est un symbole important pour les habitant.e.s voisin.e.s. Ce statut symbolique confère au site une aura et une identité unique. Réactiver le hameau et sa minoterie en ruine, c’est donner une nouvelle productivité locale à cet espace, et pour cette seconde vie, surement plus culturelle qu’industrielle.

Toutes ces caractéristiques guident le projet.
L’inondabilité, la situation en marge, la vie en collectif, le mode d’habiter en léger, l’état avancé de ruine des bâtiments, l’économie du projet et de ses habitants, le temps long et les savoirs-faire disponibles.

A travers leur projet de vie et notre positionnement de fin d’étude nous nous sommes demandé quelle est la place / le rôle / la mission de l’architecte dans ces modes contemporains d’habiter ? Quelle architecture engagée saura coudre avec le déjà là et les besoins de ses habitants ?

Décrypter les processus de conception mis en place. Positionnement.

Nous souhaitons prendre le temps de déployer une attention particulière au déjà là, architectural et vivant. Nous adoptons une démarche immersive. Nous passons 2 jours par semaine pendant 2 mois sur place, avec les habitants, autour d’eux, sans eux.

Relevé.

Nous observons, dessinons, annotons, mesurons, nous nous baladons sur le site et dans les environs, à pied, en vélo et en voiture. Nous devons faire une analyse fine de l’existant car aucun plan n’a jamais été fait ou retrouvé des bâtiments. Nous métrons 1500m2 de bâtis.
Nous relevons les essences des plantes, les natures de sols. Le projet s’étend sur toute la surface de sol et dans son épaisseur : autour du hameau, 24 hectares de champs cultivés et de zone boisée autour de la rivière s’étendent. Nous identifions cinq zones ayant des rapports différents à l’eau, provoquant ainsi des occupations différenciées par le vivant.

Nous enquêtons sur les états de la ruine, sur les gradations d’enfrichement. Cela nous donne des pistes sur la présence de l’eau, et sur les zones où l’énergie mise à bâtir est vaine.

Un espace à nous.

Nous nous construisons un chariot / boîte à outils / espace de projet mobile et déployable, notre « chariot turbine ». C’est une autre manière de trouver notre place dans le hameau, nous déplacer avec tous nos outils et entrer en relation avec le paysage breton mouillé et les membres du collectif. Il devient notre nouveau bureau à Cavalon.

Rencontres individuelles.

Nous rencontrons les habitants collectivement et un par un. La voix du groupe prenant parfois le dessus sur la voix individuelle, il nous semble que nous ferons plus facilement la connaissance du collectif en découvrant aussi les personnes individuellement. Nous discutons, guidés par une même trame de questions, pendant deux heures avec les onze adultes du collectif. Cette suite d’entretiens nous permet d’établir le programme du projet, suivant leurs envies, et leurs besoins.

Co-travail.

Après cette phase d’analyse et de relevés, nous organisons des ateliers chez les habitants dans une démarche de co-travail. Nous abordons 4 thèmes différents, suivant 4 approches du projet, en essayant différents modes de communication.

Ce qu’il découle de cette démarche immersive dans le collectif d’habitants nous apporte des nouveaux éléments de projet.

  • –  Les habitants ont besoin de visualisation à long terme du projet dans son ensemble.
  • –  Le programme se dessine de manière hybride entre espaces associatifs, espaces collectifs, et espaces intimes.
  • –  Une finesse dans la transition entre les différents espaces est essentielle. Vivre en collectif est un mode d’habiter qu’ils défendent, cependant pour que cela soit confortable et non subi pour 15 individus, il est important de préserver les différentes manières d’habiter / d’être / d’occuper chaque espace. Tactique architecturale. Nous proposons un imaginaire. Le projet est un scénario, car c’est un projet de préfiguration, qui propose un dessin tel qu’on l’imagine dans quinze ans mais qui aurait pu prendre plein d’autres formes différentes. Nous l’avons conçu au vu des entretiens, du relevé et des désirs que nous avons captés pendant 4 mois, des situations, expériences, et émotions que nous avons partagées. Plus qu’un projet architectural et paysager, nous proposons un projet ancré dans un plan d’action chronologique sur quinze ans, où chaque ouvrage est pensé dans un sens pour qu’il génère des ressources (humaines, monétaires, et de savoir-faire) pour le chantier suivant. Nous avons différents temps, du temps zéro (leur installation aujourd’hui) au temps 6 (le hameau en 2035). Chaque temps correspond à l’activation d’un bâtiment. Cette manière de raconter le projet, ancrée dans le temps et un imaginaire commun, est une proposition d’organisation et d’outils. Cette proposition scénaristique – de la mise en place chronologique de chaque chantier, aux 4 grands principes qui font architecture – n’est pas un objet fini mais simplement une étape de plus au dialogue, qui permet au collectif de s’en saisir, s’en inspirer et continuer à l’incrémenter. Débattre ici, sous le prisme de ce séminaire avec vous, en quoi cela a constitué une conception en ambassade, quels outils de conception pouvons nous en tirer, pour faire ensemble, et réimaginer le monde en commun ?

incrémentalisme, instinct, acteur-réseau, co-travail, reliance,

justice spatiale,
temporaire,
informel,
illégal,
tactique,
propriété,
délaissés,
enfrichement,
préfiguration,
scénario,
habitat en milieu rural,
rôle des citoyens dans la transformation des espaces de vie, comment se sentir impliqué ?

habiter c’est politique, médiateur.rice,
traducteur.rice,
force de proposition,
passeur.se d’outils,
s’emparer d’un projet, appropriation de l’espace,
trouver sa place dans le mouvement, description partagée du territoire, faire de la place au vivant,

travail d’acupuncture, démocratie architecturale, architecture maillon, architecture belle et dangereuse,

Lucie Bortoli

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