Retour sur … « L’expérience du studio »

Studio de projet de master 1 et 2 Muter Habiter Penser, 2021-2022 par Malvin Boutier-Oton, Gégoire Chauvet, Divakar Moodhoo, étudiants

1-Introduction.

Quels sont nos désirs? Que peut-on faire? Nous voilà déjà traîtres à nos habitudes; au revoir le site, le programme, les plans et les images de rendu comme avenirs! Que devient-on en architecture? Question difficile et que chacun, chacune a tenté d’y répondre par sa propre expérience tout le long du semestre; expérience toujours différente de son prochain. Il y en a qui désirent devenir par les sens, par la narration, par les identités,l’éthique ou même, par la mobilisation politique…. On se pose question sur ce à quoi l’architecture peut répondre dans cette société qui change et dans laquelle on habite tous…d’où Muter Habiter Penser (MHP). Que peut l’architecture? L’appel a bien été lancé. Le studio Muter Habiter Penser a proposé lors de ce semestre, une autre façon de faire, une autre façon d’être.

Léa Mosconi et Romain Rousseau, enseignant-e-s du studio commencent par un exercice, ‘ une présentation narcissique’, des questionnements qui les animent au moment de la mise en route du studio.

Et puis c’est à nous de répondre sous la forme d’une lettre désirante, à cet appel à clarifier notre pensée, acérer nos interrogations. Les productions que nous avons réalisées d’ailleurs tout au long du studio sont contenues dans cette échange épistolaire visant à établir un Positionnement de fin d’étude plutôt qu’un Projet.

Et puis encore plus tard, Xavier Wrona invité en conférence à l’ensa Nantes, puis en studio, nous rappelle encore, que l’architecture c’est de l’ordre. Et l’ordre est architecture aussi bien qu’il est généré dans une architecture. Elle est, nous le distinguons maintenant tout aussi architecturale, qu’architecturelle, soit alors abstraite et concrète, tant aussi soft, que hard. Mais alors d’où sort “Le Studio c’est le projet”? C’est dans les rapports entre nous même que cette exclamation est sortie. Le festival d’idée Diep Haven, (Atlas des bifurcations, proposé par Aliocha Imhoff et Kantuta Quirós à Dieppe en octobre 2021, qui devient maintenant : L’école des impatiences) a été un grand moment d’investissement de chacun, chacune. Dans ces rapports, on s’est observés, écoutés, entendus, traduits, révélés, anticipés… On a appris à se connaître par notre participation collective, surtout active, prolongée dans l’informel. En fait, dans nos différences propres et singulières, on a bien été une seule et même chose. Et c’est dans ce foisonnement de rapports de différences, de contacts, de connaissances, que sort de vive voix, Le Studio c’est le projet, précisément lors d’un atelier autour de la pédagogie alternative sur la deuxième journée du festival.

On est pédagogie, on est connaissance, on est projet, dans nos différences. Incarné, soit alors dans un corps, soit alors, un ordre, une architecture! Incarnédans ce que l’on fait, dans l’acte. Le studio c’est le projet c’est un appel et un rappel, que l’expérience nous façonne. Nous sommes projet aussi. Depuis ce moment que l’on a désigné le studio, ce lieu des possibles, comme fiction collective, et comme environnement commun, il est devenu un outil de travail, de rapports et de palabres, qui s’entretiennent et entretiennent.

2- Environnement de travail / éco-système.

Le studio c’est le projet, c’est donc la prise de conscience d’un nous, d’un collectif d’humains enseignant·e·s et élèves qui réfléchissent, mais c’est également la prise de conscience de ce bloc d’interactions comme d’un territoire à explorer, à définir, à agencer. Ce milieu d’interactions aussi bien plastique, discursif, qu’intellectuel s’est réalisé sous un objectif collaboratif: Sur le mode d’un écosystème ou chacun·e apporte aux autres sans pour autant confondre la diversité des réflexions menées en une pensée unique et consensuelle. Très vite se sont mis en place des discussions régulières à propos des règles que l’on se fixait, et puis outrepassant une forme autoritaire d’interdiction, de punition, nous avons essayé de mettre en place une dynamique d’apports plutôt que de retenues : qu’est ce que je peux apporter au studio qui servira collectivement, qui ouvrira des possibles ? Changer d’un régime de “Tu dois” et d’ “Il faut” à “je peux” et “j’aimerais”. Le pouvoir compris comme puissance et non gouvernance et domination.

Concrètement nos discussions se sont traduites par la mise en place d’outils comme l’écriture inclusive, l’intégration des étudiants aux jurys, des exercices d’auto-critique en groupe de 2|3 étudiant·e·s, d’interprétation mutuelle de nos travaux en cours. L’un des effets notable fut le sentiment de basculement de la forme compétitive, souvent expérimenté en studio, vers la création d’une “affaire commune” en quelques sortes, dans laquelle chacun·e se sent concerné·e par le travail des autres non par le biais d’une concurrence mais au contraire d’une volonté d’entraide.

Les sondages réguliers de Divakar sur certaines questions auprès de nous ou bien la boîte de recueil de messages scellée de Lola témoigne des possibilités qu’un tel environnement de travail peut susciter.

  • Comment interagissons-nous en l’absence d’interlocuterur ou de réponse, avec qui n’est pas là?
  • C’est quoi une maquette?

Une métaphore qui permet de bien comprendre l’ambition pédagogique derrière cet écosystème que nous vous décrivons aujourd’hui est l’image de la pensée percolante. Elle s’oppose à une pensée ruisselante caractérisant des savoirs qui émaneraient d’une personne sachante exclusive, que ce soit les enseignant·e·s ou bien l’école, seul détenteur de ce précieux nectar. La pensée percolante s’infiltre dans le sol et dans les corps, elle voyage sans que l’on puisse savoir quel chemin elle emprunte exactement. Elle nous invite à détourner le regard du flux des compétences et des savoirs à acquérir pour le diriger vers le substrat. Ce substrat c’est le studio, c’est ce que l’on y apporte. Élèves, enseignant·e·s, intervenant·e·s, évènements, s’y mêlent sans hiérarchie (ou du moins c’est l’objectif) apportant avec eux une partie de ce terreau qui influencera les savoirs et compétences que nous acquérons.

La percolation se joue aussi dans des actes comme celui de la constitution d’une bibliothèque commune où chacun ramena des références qu’il pensait utile pour telle ou telle personne. Jusqu’au post-it laissé par romain dans la revue “après la révolution”, tout un panel de réponses physiques ont été exploré.

Cette métaphore de la pensée percolante permet de décrire ce qui est à l’œuvre, nous semble-t-il nécessairement, dans “le studio c’est le projet” : nos outils de conception ne sont pas muet et le studio est le premier de ces outils, c’est le substrat, le milieux dans lequel nous nous retrouvons le temps de quelques mois.

Ainsi la question que Xavier Wrona nous avait posée ‘d’où parlez vous ?’ se complète d’un ‘d’où parlons-nous?’ Qu’est-ce qui fait ce “où’, ce lieu? Le studio l’a été…un territoire à agencer, dont le relief devait être cartographié.

L’intérêt de cette prise de conscience, de cette attention régulière auto-critiquante est la possibilité de configurer le collectif en vue des objectifs qu’il se donne, pour MHP à savoir la recherche autour des bifurcations écologiques et politiques. Dit en d’autres termes plus anarchiste, c’est la mise en phase des moyens et des fins. Puisque les outils que nous utilisons ne sont pas neutres, nous devons les observer, les critiquer, les faire muter si nécessaire. Avec la pensée percolante on comprend plus aisément comment le savoir n’est pas quelque chose que l’on détient tel un objet, mais au contraire quelque chose que l’on fabrique, un mouvement que l’on embrasse en le répétant, en le détournant. Elle est davantage une vibration, une fréquence faite de multiples ondulations ajoutées, (un signal Noise ?) plutôt qu’une tablette de marbre gravée indépendante des corps et qui passerait de mains en mains.

3- L’incarnation.

Le studio c’est le projet n’est pas un appel d’ordre performatif. La prise de conscience qu’il a éveillé était d’ailleurs plutôt le constat d’un écart entre nos belles paroles et volontés et ce que nous étions en train de vivre. Comme le souligna Zoé, lors de notre voyage d’étude à Dieppe, à propos de la répartition des chambres de l’auberge qui, sans plus de concertation, s’est finalement organisée selon une division genrée, reproduisant ainsi des schémas que nous commencions à questionner. Le studio c’est le projet, nous avons tenté d’incarner ce qu’il voulait dire. Car le studio comme projet n’est pas seulement un catégorie abstraite, sa pertinence naît d’une mise en tension entre intellect et corps. Il invite à une pratique théorico-somatique. Peut-être est ce là une percolation dans notre prise de conscience, de l’idée de somathèque de Paul.B Preciado que plusieurs parcours bibliographique des membres du studio ont rencontré en chemin. Les attitudes, le look, les postures, les gestes une kyrielle d’éléments pouvant être anodins lorsque décontextualisés et isolés, compose pourtant les corps et un corps collectif.

Tout à coup, se déchausser avant de rentrer en studio, partager une grande table, installer une cuisine et un espace d’accrochage de nos travaux, ou bien préparer le thé pour tout un groupe se comprend dans une dimension dépassant largement la futilité apparente que leur souscrit un regard discriminant. Vous pourriez nous reprocher de romancer et même de fictionner a posteriori ce que nous avons pu vivre, et vous auriez certainement raison. Mais il serait injuste toutefois de supposer que l’écriture de ce récit postérieur au temps du studio soit factice. Tous ces gestes, et postures, ces attitudes de bienveillance que nous avons tenté d’embrasser, nous les avons adoptées consciemment, pour expérimenter un scénario que nous racontions au même moment que nous le vivions.

La proposition de Juliette d’organiser un atelier de danse et de faire un huddle faisait partie de cette histoire que nous avons tenté de vivre et d’écrire concomitamment.

Le studio c’est le projet, nous l’avons donc entendu comme une injonction à incarner avec nos corps ce que l’on se racontait et cela à produit la mise en place d’un studio à soi, d’un studio à nous. Un studio où l’on apporte quelque chose de soi, de chez soi, ou bien où l’on amène des meubles à plusieurs comme le canapé

Un studio à soi dont on prend soin, qu’on entretient à coup de balais, de verres d’eau dans les plantes, de rituels journaliers, de mise en place des assises/cuisines/enrouleurs électriques.

Malvin de part son expérience du studio MHP l’année précédente en temps de confinement à pu expérimenter et ressentir l’importance d’une congruence entre la physicalité d’un studio et ce qui s’y produit. C’est l’élaboration d’un nous collaboratif qui lui a permis d’atterrir pour reprendre l’expression de Latour, quelques parts et présenter un projet et un positionnement, autour de l’idée de fête politique, ‘empuissanté’ en quelque sorte par tous les échanges et interactions vécus en studio.

Cet empuissantement ne passant pas par la force ou l’auto-persuasion mais davantage par l’établissement d’un cadre d’échange apaisé et nourrissant. Les temps de rendu, principaux catalyseur de stress et de surmenage ont ainsi été dans le collimateur de notre organisation. Et si certains doute des qualités thérapeutiques de la colorimétrie des chaussettes de Romain, nous pouvons au moins témoigner que faire un rendu en chaussettes (professeur·e·s et étudiant·e·s confondu·es) instaure une certaine décomplexion.

4- Tout cela produit de (l’ordre) la forme.

Le diaporama qui défile derrière nous montre comment le studio-projet s’est manifesté sous de nombreuses de formes. La multitude de comportements et d’agencements des corps et de l’espace ont généré de nouvelles habitudes coopératives, détails de vie du studio qui peu à peu ont créé ce que l’on pourrait appeler une “culture” à part entière. Cette construction d’une identité commune permet aux individualités de co-naître au travers de la diversité qui nous rassemble. Connaître par l’échange de connaissances acquises qui enrichissent nos travaux, mais aussi co-naitre par la naissance de cette identité commune. Parmi les formes que tout cela a pu produire, on distingue plusieurs catégories.

Formes d’habiter: cuisine, bibliothèque, changements de la salle en fonction des nécessités (tablée, danse, sieste au soleil, salon, préférer une lumière tamisée d’une lampe reconstituée aux néons blafards de l’école)

Formes de communication: Échanges de dessins pour expliquer ce que l’on comprend du projet de l’autre, de références non spécifiques à l’architecture, dessiner une présentation en direct, laisser les profs nous présenter nos projets après une semaine de consultation de nos travaux.

Formes de désobéissance: Envoyer un non collectif à Romain devant une charge de travail supplémentaire, se réserver un droit à déroger à la consigne de rendu si nécessaire.

Formes d’entraide: Création d’un système de prise en charge des notes lorsque quelqu’un présente pour alléger sa charge mentale. Discuter entre nous de nos réflexions, requérir l’avis des autres.

Formes de je(ux): jeux de cartes Léa, les tours de table

Formes de narration: Passer par l’enquête, le questionnement des paradigmes de société, un inventaire d’architecture mutante

Formes d’autocritique: La réflexion collective sur les compétences et critères qui seront notés par les jurys, ainsi que leur mise en place (étudiants dans le jury, inviter des étudiants extérieurs au studio); Liberté dans notre sollicitations des professeurs, et de déterminer nos directeurs de recherche.

Formes d’espaces projectuels: fête politique auto-organisé, établissement de lavage du corps et des vêtements, un appartement T24, une éthique de l’architecture créole, un intercesseur vers l’au-delà, une biblio-disco-douchothèque queer parmi tant d’autres propositions.

5- Epilogue.

Au terme de ce travail de recul que nous faisons aujourd’hui nous pouvons vous livrer et nous livrer à nous aussi quelques points à emporter avec l’idée que le studio c’est le projet :

• Le studio est un projet politique, c’est un projet d’organisation entre des humains, entre des milieux de pensées individuels et collectifs ? Pour que cela fonctionne, il faut construire les conditions pour que tout le monde puisse en faire partie. Sur ce point nous aurions pu aller plus loin face aux disparité d’occupation du studio qui ne sont certainement pas dû seulement à des personnalité individuelle mais aussi à des défaillance qu’on aurait pu rectifier avec davantage de temps.

• Le studio est le plus long des projets cour de l’école. Le studio comme un exercice à part entière peut sembler hypertrophier, gaver d’un temps précieux à d’autres activités, que nous pensons vital dans l’idée que le studio c’est le projet. Pourtant nous avons pu constater que ces attitudes, ces habitudes, l’incarnation que nous vous avons relayer, s’inscrit dans une temporalité lente à grande inertie (le temps de la percolation) si bien que 6 mois sont finalement courts pour expérimenter. Alors, faut-il des studios allant au-delà du semestre, faut-il une préparation en amont plus conséquente (à l’échelle d’organisation du studio, des maquettes pédagogiques, du projet d’établissement ?) ?

• Le studio est créole. Quand il adopte la forme d’un laboratoire d’expérimentations, quand il désigne un collectif collaborant, sa forme semble alors provenir d’une multiplicité de savoirs, d’expériences, d’individues, qui s’entrecroise, s’entrechoc, s’entrelace. c’est dans cette “entre” les choses que les mutations opèrent. Alors pourquoi le pfe et son studio seraient isolés dans le cursus ?

Vous aurez noté l’introduction du terme PFE car il est souvent marqué par une surexposition du “Je” contradictoire avec la collaboration à laquelle nous éduque l’école. Pire encore, ce « JE » masque parfois la collaboration subie et imposée par le haut à des masters devant se mettre au services des PFE et du PFE (on peut noter comme les étudiant sont absorbés par ce PFE, on dit d’eux que ce sont des PFE). Ce PFE désignant donc une obsession du projet comme objet dévorant, indépendant de la personne et du milieu depuis lequel il à été produit. Le studio créole affirme au contraire un positionnement de fin d’étude qui à conscience de la multi détermination qui le traverse et qui pose l’observation de cette diversité comme primordiale : le studio c’est le projet.

• Le studio n’est pas neutre. La réception de notre aventure par les deux jurys de soutenance des PFE en est le témoignage. L’engouement et la polémique que nos travaux ont suscités ont vu des attitudes radicalement opposées se manifester. Le jury du jeudi, axé sur le corps et le genre, a utilisé davantage le dialogue et fut en mesure, très clairement, de comprendre ce travail de fin d’étude comme d’un vecteur de questionnements à prolonger. Le jury du vendredi, axé théorie politique, a davantage utilisé la confrontation et formulé clairement une attente d’objets architecturaux. L’exceptionnelle violence de ce jury ne fut d’ailleurs pas que dirigé vers les projet eux-mêmes mais aussi vers la pédagogie du studio lui-même. Il nous apparaît avec du recul que ce dernier jury était de par son attitude, garant d’une manière d’enseigner l’architecture, ruisselante pour reprendre nos mots, que nous avons remis en question dans notre pratique du studio comme projet.

Malvin Boutier-Oton, Gégoire Chauvet, Divakar Moodhoo

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