Dunkerque en projet, sur les pas du Baron Noir

Le séminaire Constellations se sera intéressé au territoire dunkerquois sur une période de deux années. Ainsi est-il à l’initiative des éditions Polygonale (P14 et P15) qui en auront traité consécutivement (Dunkerque en visio). Le semestre de printemps 2021 – dont nous relatons ici le travail – aura été consacré à un travail d’enquête/d’investigation en vue de permettre aux étudiants d’appréhender la ville et son architecture dans ses dimensions poïétique et politique, en conservant en ligne de mire la problématique du commun dans laquelle nous sommes engagés dans un cycle ouvert il y a six années déjà.

Tournant en avantage une situation quelque peu atypique, soit le difficile contexte d’enseignement engendré par la crise sanitaire, nous avons proposé aux étudiants de travailler à partir d’un média, d’une fiction, la série politique Baron Noir (Ziad Doueri, Antoine Chevrollier et Thomas Bourguignon 2016-2020) tournée à/sur Dunkerque, pour approcher à distance une réalité territoriale rendue difficile d’accès du fait des circonstances.
Cet article retrace le déroulé pédagogique du semestre jusqu’à la restitution des étudiants, il s’accompagne donc d’une captation vidéo pendant la rencontre à Dunkerque.

Retour en arrière, mars 2020

Au printemps 2020 nous nous étions intéressés à Dunkerque parce que la ville voit s’entrechoquer sur son territoire, tant les formes encore actives de l’industrie lourde en site urbain (Arcelor-Mittal, Total, Air Liquide…), que les nouvelles économies du plateformisme libéral (Amazon et le phénomène de l’ubérisation), tout en étant le terrain d’une pluralité de situations et d’actions qui explorent l’échelle des communautés, interrogent le sens du milieu : politique de gratuité des transports, politique de l’hospitalité vs hostilité au camp de la Linière à Grande-Synthe, participation et opposition habitante à travers l’initiative du collectif l’En rue (formé, tel un pied de nez, à l’adresse de l’ANRU), déploiement d’un réseau de communs de la connaissance (la Bib et ses bibliothèques balises, la création récente d’un learning center et la présence du Frac Grand Large).

Bien que nous ayons été contraints de rester à distance du terrain, ce premier semestre consacré à Dunkerque a pourtant permis de questionner la place de l’architecte et de l’architecture par rapport au politique. Il aura incité à s’intéresser autant aux formes et représentations du commun dans les réalités construites, que de se questionner sur les manières dont le commun se rêve, se pense dans un milieu donné.

Mars 2021, voir la ville par la fiction

Dans le prolongement de cette première étape, le séminaire sera donc devenu le temps d’un semestre le lieu d’une enquête collective visant à identifier les différentes pièces et lignes de tensions de la mosaïque sociale et urbaine de Dunkerque et son territoire : ville bourgeoise, ville ouvrière, ville chômeuse, ville balnéaire, ville-port, plateau-industriel, camps de migrants, etc. Le terrain n’est pas ici la ville à proprement parler, mais la ville à travers le prisme qui s’interpose entre nous et ce « réel », soit la série Baron Noir.

Ce premier travail de recherche visait donc à inciter les étudiants à mener une enquête individuelle et collective à partir de la série, avec l’objectif de faire advenir à l’avant-plan, les arrière-plans architecturaux et paysagers de l’action. Ce dispositif de recherche aura visé à appréhender l’architecture tant en ce qu’elle peut être représentation extérieure à elle-même (d’enjeux sociaux, économiques, politiques dans lesquels elle s’inscrit) que présentation/présentification du projet (du processus qui la met à jour, de ce qu’elle a à dire d’elle-même).

L’enquête

Le travail d’investigation a pris la forme d’un découpage des arrière-plans architecturaux, urbains et paysagers qui portent le récit de la série. L’identification des lieux, de leurs caractéristiques architecturales, de leur mise en scène, de leur rôle, de leur position sur l’échiquier urbain, permettant, en négatif, de saisir les débats d’idées et rapports de force de la matrice politique dont la série forme la chronique.


Baron Noir s’appuie notamment sur les nombreux « personnages architecturaux » que sont : l’hôtel de ville de Dunkerque et son Beffroi (Cordonnier, arch.), le Frac Hauts de France (Lacaton & Vassal, arch.), la Halle aux sucres / learning center (Faloci, arch.), la Zac Grand Large (Michelin, arch.), Arcelor Mittal, le plateau industriel, le port, etc., le Kursaal (ou casino, point de départ du carnaval), les fronts de mer à Malo-les-Bains ou à la digue du Break, la Bibliothèque centrale (d’Houndt & Bajart, arch.) – mais aussi, aux échelles régionale et nationale, des édifices remarquables censés identifier les pouvoirs régaliens, institutionnels, ou les sièges de partis : villa Cavrois (Mallet Stevens, arch.), Palais de l’Élysée, Ministère du travail, Armée du salut (Le Corbusier, arch.), Grande Arche de la Défense, etc.


La production a pu recouvrer des formes diverses. Collective et/ou individuelle, elle aura visé à devenir un ensemble de « couches » formant autant de niveaux de lecture de la série : galerie de portraits architecturaux (renvoyant aux travaux du couple Becher), cartographie des représentations (telles les cartographies potentielles de Terra Forma), constellation des rapports de force (tels les travaux du Medialab de Sciences Po).

Les thématiques de travail

  • Architecture et Narration (Baptiste Cabrol – Anatole Kuijper), soit dire l’intrigue par l’architecture.
  • Lieux de pouvoirs et contre-pouvoirs (Affoué-Lucia Inza), soit le découpage de la série suivant les lieux qui servent, appuient, font pouvoir.
  • Le Beffroi / de Paris à Dunkerque (Myriam Tounir), soit une enquête autour du beffroi comme point-repère d’un territoire, et point-pivot des aller-et-retour Province-Paris.
  • Cartographie sociologique et démographique (Valentin Meresse, Arvin Gharffarzadeh Kermani, Cécilia Lopez).
  • Partition des personnages et découpage du territoire (Po-Shen Ou), ou la représentation des acteurs à partir de « leur » milieu habité.
  • Cartographie de l’imaginaire (Adrielli Muniz).
  • « Ce qui n’est pas montré » (Manon Goudard), soit une galerie organisée des typologies architecturales invisibilisées dans la fiction, et peut-être par le jeu politique.

Restitution collective

La mise en relation des différents sujets a pris la forme d’un site internet (réalisé par les étudiants) consultable à l’adresse suivante :

https://seminaireconstella.wixsite.com/website

Polygonale, visite de Dunkerque

En complément de leur restitution collective, les étudiants ont proposé aux participants de la session Polygonale de s’offrir un jeu de piste en ville (un « Bing’o Dunkerque »), sur une plage de temps déterminée, en portant témoignage par la photo (selfies, récolte matérielle – légendés et commentés) de l’identification in situ des lieux-clés de la série Baron Noir. Cela en appui du site internet de restitution collective de leurs travaux créé à cet effet.


Constellations

Le séminaire Constellations est un séminaire de master d’initiation à la recherche de l’ENSA Paris Val de Seine encadré par Emmanuel Doutriaux et Carolina Menezes Ferreira.  Il est partie prenante du réseau Polygonale depuis la création de celui-ci, il y a une quinzaine d’années. Le séminaire fonctionne en deux semestres consécutifs (printemps-automne). Le premier est consacré pour partie à une production de recherche collective. Celle-ci est effectuée avec en ligne de mire une participation à la Polygonale annuelle. Le second est consacré au développement du projet personnel de mémoire, amorcé dès le printemps, qui est poursuivi un semestre supplémentaire par certains étudiants, dans le cadre de leurs projets de fin d’études, au titre de la mention recherche.

Séminaire : Constellations_Architecture du commun, ENSA Paris Val de Seine
Enseignants : Emmanuel Doutriaux & Carolina Menezes Ferreira
Étudiants : Baptiste Cabrol, Manon Goudard, Affoué-Lucia Inza, Arvin Gharffarzadeh Kermani, Anatole Kuijper, Cécilia Lopez, Valentin Meresse, Adrielli Muniz, Myriam Tounir, Po-Shen Ou.

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